Les Saltimbanques à l’Expo et au Théâtre d’Aujourd’hui

Même s’il est arrivé chez les Saltimbanques après la dernière de L’Enfant rat, Michel s’est joint au party de Noël de la troupe qui a suivi, et a si bien fait rire les membres de la troupe d’amateurs en leur disant des sketchs de Raymond Devos qu’ils l’ont invité à jouer dans le spectacle suivant, alors en répétition, Le Satyre de la Villette de René de Obaldia (avec entre autres Claude Gai/ Sanschagrin dans le rôle de Monsieur Paillard). Ainsi, sans la moindre expérience du théâtre (mais il avait déjà suivi quelques cours au Studio-Théâtre, rue Mont-Royal, pour faire de la radio : diction, pose de voix avec M. Rollet…), Vaïs commence à jouer dans le répertoire d’avant-garde de la troupe : Fernando Arrabal, Boris Vian, Romain Weingarten, Gabriel Cousin, Roger Huard, Slawomir Mrozek… Il demeurera membre de la troupe dirigée par Rodrig Mathieu jusqu’à sa dissolution, le 6 avril 1969. Il apprend à jouer en jouant, mais aussi grâce à des professeurs que les Saltimbanques font venir : Paul Buissonneau y a enseigné le mime et Eleonore Stewart, de l’École nationale de théâtre, la pose de voix. Simultanément, il accomplit un certificat de deux ans en traduction anglais-français à l’Université McGill. En ce qui concerne les sketchs de Raymond Devos, Vaïs en fera des spectacles au cours des années suivantes, dans des lieux comme le Chansonnier classique au Centre Cherrier de la Palestre nationale (le 28 janvier 1967), avec notamment Louise Deschâtelets récitant des poèmes, et au Théâtre de Verdure du Parc Lafontaine, à l’invitation de la chanteuse Germaine Dugas, après avoir passé une audition. Après le décès de l’humoriste en juin 2006, Vaïs a repris des spectacles (VOIR EXTRAITS SUR YouTUBE) en hommage à Devos au centre naturiste la Pommerie et à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, toujours en amateur.

Poussé à pallier ses lacunes en matière de culture française, au printemps 1964, grâce au Prêt d’honneur de la Société Saint-Jean-Baptiste, il s’inscrit au baccalauréat ès arts (B.A. pour adultes) de l’Université de Montréal, obtenant son diplôme au printemps 1967, après 36 mois consécutifs de cours de 17h30 à 19h30 (ainsi que la journée du samedi et en été), avant de filer au théâtre dans le Vieux-Montréal pour le spectacle de 20h30. Il suit à l’U. de M. un maximum de cours facultatifs sur la littérature, la poésie et surtout le théâtre, français et québécois. Comme il ne joue pas dans tous les spectacles des Saltimbanques, il se joint à la troupe du Nouveau Théâtre universitaire dirigée par le comédien Lucien Hamelin (vedette du film Trouble-Fête), où il joue dans La Tête des autres de Marcel Aymé, avec notamment l’acteur Yves Corbeil, puis dans le spectacle de poésie L’Afficheur hurle et dans Le Dernier des métiers de Boris Vian, et met en scène Les Précieuses ridicules de Molière. Fondant sa propre troupe éphémère (la Troupe d’avant-garde du Café-Campus), il se produit au tout nouveau Café Campus de l’Université de Montréal, rue Decelles, en janvier 1967, y montant Le Général inconnu de René de Obaldia, avec les étudiantes en lettres Louise Laprade (future comédienne) et Denise Desautels (future poétesse), tout en se réservant le rôle-titre du spectacle présenté en programme double, avec tantôt le chanteur Claude Dubois, tantôt le mime Claude St-Denis.

Toujours membre des Saltimbanques, Vaïs veut répondre à un défi lorsque la troupe est sollicitée par Radio-Canada pour présenter une pièce en un acte à la télévision dans le cadre d’une série d’émissions dramatiques consacrée aux jeunes compagnies. Devant la difficulté de trouver un texte correspondant à la ligne « d’avant-garde » de la compagnie, Rodrig Mathieu s’apprête à décliner l’offre, quand Vaïs déclare qu’il allait écrire une pièce et l’apporter à la troupe le lendemain. En une nuit, il écrit Cui-cui, qui sera montée et filmée par Radio-Canada pour y être présentée le 31 juillet 1966. La pièce est publiée la même année dans la revue La Barre du jour. Plus tard, il écrira une pièce radiophonique en un acte, L’Erreur, qui sera jouée à la radio de l’Université de Moncton (1985) et sur scène, au théâtre de la Ruelle mondaine, à Montréal (1988).

Aussitôt obtenu son diplôme de 1er cycle universitaire, à l’été 1967, Vaïs s’inscrit à la maîtrise en lettres françaises à l’Université McGill, qu’il termine en juin 1969 avec un mémoire sur René de Obaldia, Le Sentiment d’étrangeté dans l’œuvre de René de Obaldia, dirigé par le professeur Jean Leduc.

L’année de l’Expo 67 à Montréal, Vaïs travaille au pavillon du Québec et à celui de la Russie tout en débutant ses cours de maîtrise. Il est aussi de la distribution (avec notamment Carole Lord/Laure) de la pièce Équation pour un homme actuel, que les Saltimbanques donnent au Concours des jeunes compagnies du pavillon de la Jeunesse, à l’invitation de la productrice Thérèse Arbic. La pièce, signée Pierre Moretti mais écrite par un ordinateur du Centre de calcul de l’Université de Montréal, mise en scène par Rodrig Mathieu, directeur de la troupe, fait l’objet d’une descente de police pour indécence en cours de représentation le soir de la dernière. Neuf des 11 comédiens (mais ni Michel Vaïs ni Robert Toupin, qui ne jouaient pas dans le 9e tableau, « Érotomanies ») sont alors arrêtés, emprisonnés jusqu’à leur comparution le lendemain. Après un procès fort médiatisé, et malgré le soutien – et l’appui financier – de personnalités comme Jacques Languirand, Paul Buissonneau, Gratien Gélinas et le critique Martial Dassylva de La Presse, les Saltimbanques perdent leur procès en cour municipale, devant le juge Gérard Tourangeau. C’est le même qui coupera les vivres à la pièce du TNM Les fées ont soif quelques années plus tard.

En avril 1968, Équation… se produit au Festival de théâtre de Nancy (France) à l’invitation du directeur Jack Lang (futur ministre de la Culture) et grâce à une subvention extraordinaire du ministère des Affaires culturelles du Québec. Toute la troupe (sauf Carole Laure, remplacée à sa demande) fait le voyage avec l’acteur Yvon Dufour, directeur du théâtre aux Affaires culturelles. Le spectacle y remporte le deuxième prix d’appréciation du public, après un Ubu roi suédois. Voir https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/355295/equation-pour-un-homme-actuel-michel-vais

De retour au Québec, les Saltimbanques gagnent leur procès en appel, mais doivent évacuer leur local du Vieux-Montréal, ne pouvant plus payer le loyer. La troupe s’associe aux Apprentis-Sorciers, alors dirigés par le comédien Jean-Pierre Saulnier, qui possédaient maintenant un local bien équipé, au 1297 rue Papineau, pour fonder le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Se joignent au regroupement le Mouvement contemporain d’André Brassard et la troupe de mime de Michel Poletti. Vaïs joue là dans deux spectacles des Saltimbanques en 1968-69. D’abord, Tabarin-Tabarino, adaptation par Rodrig Mathieu d’une farce du moyen-âge, avec notamment le scénographe, éclairagiste et acteur Claude-André Roy dans le rôle-titre (il travaillera plus tard à Las Vegas avec Céline Dion et le Cirque du Soleil). Ensuite, il joue dans Tango de Slawomir Mrozek, avec entre autres l’acteur Jacques Crête, qui fondera le théâtre de l’Eskabel un peu plus tard. Les troupes constitutives du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui se dissolvent en même temps, au printemps 1969, faisant place au premier théâtre québécois se consacrant à la dramaturgie du Québec et du Canada.

Pour gagner sa vie, et rembourser ses dettes d’études, Vaïs donne des cours de français aux anglophones de la société de chemins de fer Canadien Pacifique. Il est aussi chargé de cours (teaching assistant) au département de français de l’Université McGill.

De gauche à droite : Vulpian dans Les Nourrices (mise en scène Rodrig Mathieu), Mitaro dans Fando et Lis (mise en scène Francine Noël) et Ménélas dans Les Troyennes (première mise en scène d’André Brassard) chez les Saltimbanques.

De gauche à droite : Haut — Les Troyennes chez les Saltimbanques, Équation pour un homme actuel à l’Expo 67 ; bas — le tableau « Érotomanies » d’Équation…, programme du Général inconnu au Café-Campus, programme d’Équation (1967).

Le spectacle Équation pour un homme actuel a fait l’objet d’une descente de l’Escouade de la moralité de la police de Montréal, suivie d’un procès rocambolesque, d’une condamnation en cour pour indécence des 9 comédiens jouant dans le 9e tableau (« Érotomanies »), puis, d’une reprise du spectacle à l’Université de Montréal et au Bateau-théâtre l’Escale, ensuite, d’une invitation au Festival de Nancy de 1968 (direction : Jack Lang), où la pièce a triomphé, enfin, d’un acquittement en cour d’appel un an plus tard. Cette histoire, racontée dans des articles parus dans JEU et dans L’accompagnateur. Parcours d’un critique de théâtre, a aussi fait l’objet d’un épisode de l’émission Aujourd’hui l’histoire à la radio de Radio-Canada le 13 mai 2021:

Voir et écouter : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/355295/equation-pour-un-homme-actuel-michel-vais

À ce sujet, il est très étonnant de lire, sur la page Wikipédia de Robert Toupin, qu’il aurait remporté « le Grand Prix du Festival International de Théâtre de Nancy pour la pièce Équation pour un homme actuel, dont il était le co-concepteur. FOUTAISE ! Robert était, comme moi, un des 11 interprètes de la pièce, qui n’était pas vraiment une création collective, puisque Pierre Moretti avait soumis des centaines de mots à un ordinateur de l’Université de Montréal, qui avait recraché des phrases selon une syntaxe primaire, que Moretti avait ensuite classées sous 16 différents thèmes, Rodrig Mathieu avait fait la mise en scène, Gilles Lalonde avait conçu les décors, etc.

Conférence sur les Saltimbanques et Équation... à Verchères, le 16 mars 2022.

Spectacle inaugural du Café Campus, en 1967.

Le Général inconnu, avec Louise Laprade, femme du Général.

Café Campus de l’Université de Montréal, 1967.

Le Général inconnu avec Denise Désautels en capitaine Kraspeck, agent triple.

Café Campus, 1967.

Spectacles de sketchs et de poésie

Plusieurs spectacles dans des boîtes à chansons en 1965-66-67, avec des sketches de Raymond Devos et de Jacques Bodoin, des poèmes de Prévert ou d’Henri Michaux